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Histoire

 

Les cadres, reflets des évolutions du capitalisme contemporain.

Les mutations de la fonction Cadre dans le contexte du début des années 1990

Les années 90 avaient commencé par une crise économique, et un fort développement du chômage des cadres. A la reprise des recrutements à partir de 1994-1995, les conditions de l’emploi étaient différentes par l’impact des changements économiques, technologiques, organisationnels, parce que les besoins en qualifications et compétences étaient augmentés et que la fonction de cadre évoluait rapidement. On percevait l’éloignement des lieux de décision des entreprises, loin des lieux de travail de la plupart des cadres, tranchant ainsi avec l’une de leurs caractéristiques antérieures : l’information, voire la participation à la stratégie et aux décisions de l’entreprise.

Mutations profondes du rôle des cadres, silence des études.

Des travaux approfondis avaient été menés dans la première moitié des années 1980 par Luc Boltanski et Guy Groux. Mais en 1996, plus rien n’émergeait, comme si les changements du travail entrainaient une banalisation des cadres dans un grand salariat anonyme.

 
Le lancement de l’Observatoire en 1996

 

Comprendre le rôle des cadres, leurs responsabilités, leurs marges de manœuvre :

Les cadres sont des salariés à part entière, avec un engagement au cœur des administrations et des entreprises. Ils ont aussi des spécificités, du fait de leur autonomie, de leurs responsabilités. Il fallait donc pouvoir connaître en profondeur les éléments de cette identité professionnelle des cadres, avec leurs conditions de travail particulières (ils sont parfois managers, parfois experts). A sa création, l’OdC est un observatoire sur le modèle d’un centre de recherches, qui  se donne l’objectif d’offrir une connaissance approfondie des cadres par l’identification des contenus professionnels, le suivi des emplois, et la diffusion de données.  Une communauté de réflexion entre les acteurs sociaux et le monde académique se construit ainsi pour comprendre l’évolution du rôle des cadres. La CFDT cherche alors une structure pour suivre l’évolution des emplois et des fonctions des cadres, pour comprendre les mutations du travail. Elle sera membre fondateur.

L’Observatoire est alors très proche du groupe de recherches sur les cadres « GDR Cadres »(http://gdr-cadres.cnrs.fr/) du CNRS. En 2009, c’est en partenariat avec l’Observatoire des cadres, que le laboratoire du CNRS organise son colloque de dissolution. ( http://gdr-cadres.cnrs.fr/pdf/Invitation%20Colloque%20ODC%20%202%20decembre%202009.pdf)

Mais le modèle économique d’un centre de recherches n’allait pas tenir longtemps. Les financeurs, notamment le Fonds social européen, avaient trop d’exigences administratives pour notre petite structure. L’observatoire change progressivement sa vocation et devient un lieu d’échanges, entre syndicalistes, praticiens des ressources humaines, chercheurs et universitaires, consultants sur les réalités de travail des cadres, les organisations d’entreprises, les modes de management.

 

L’OdC , se concentre sur l’observation et le dialogue sur les réalités vécues au travail

L’Observatoire va recentrer le champ de sa réflexion sur le travail des cadres, les organisations et le management. Pour comprendre les paradoxes du travail des cadres, il faut traverser le verre dépoli des tableaux statistiques pour explorer le monde réel des entreprises et leur management. L’OdC devient alors davantage un think tank sur le travail des cadres plus qu’un observatoire au sens strict. Une méthode est sanctuarisée : les analyses des chercheurs sont toujours confrontées au vécu des équipes syndicales, des salariés, et des professionnels des ressources humaines, dans un esprit de dialogue.

Le constat de la dégradation des rapports de travail dans les entreprises va souvent de pair avec l’existence de structures et processus mal compris, avec un grand écart entre les discours affichés et les réalités vécues. Dans ces situations, le constat est souvent que bon nombre de cadres, confinés dans un rôle d’exécutant, écartés des processus de décision, sont à la recherche du sens de leur action quotidienne. En questionnant les pratiques managériales et les modes d’organisation, les débats pointent des réalités concrètes spécifiques aux cadres.

Tel est l’objectif de l’OdC : questionner les pratiques réelles de management au-delà de la logorrhée des discours managériaux qui valorisent responsabilité, autonomie, réalisation personnelle de chacun sans s’interroger sur les conditions concrètes de la mise en œuvre. 

Mettre le travail au centre des préoccupations du management, penser en termes de responsabilités, de valorisation des compétences, de métiers, d’équipements collectifs des individus sont des leviers pour atténuer la crise du travail.

L’OdC et la crise du travail

Le séminaire du 12 septembre 2008 « Vent de défiance chez les cadres » (trois jours avant la faillite de Lehman Brothers) marque une prise de conscience. Les échanges portent sur la défiance croissance des cadres vis-à-vis de leur entreprise et une sorte de ras-le-bol généralisé qui traverse les générations. IL ne s’agit pas d’une révolte contre le système capitaliste mais plutôt d’une contestation de fond du management contemporain : les politiques managériales obsédées de performance sont accusées d’empêcher les cadres d’effectuer correctement leur travail. Les contestations trouvent leurs sources dans le refus des contradictions permanentes dans lesquelles opère le management, dans l’absence de repères stables, crédibles, qui fassent sens et enfin dans la difficulté qu’éprouve le cadre à situer et à conserver une identité qui lui soit propre. Nombre de cadres se replient sur leur carrière, répondant en cela aux injonctions du management contemporain : soyez responsables, autonomes, mais ne vous occupez pas de stratégie, vous n’êtes pas payés pour cela. Il en résulte un désengagement délétère quant au destin collectif de la firme.

Francis Ginsbourger, membre du conseil scientifique, publie alors Ce qui tue le travail, postfacé par Jean Paul Bouchet, vice président de l’OdC. Non, ce n’est pas le travail qui tue, les statistiques montrent au contraire que le travail protège du suicide. Le problème est que les cadres vivent de plus en plus dans le formatage organisé. Alors que le travail est source de valeur identitaire et sociétale, on ne parle plus de métier, seulement de tâches et de fonctions. La question cruciale aujourd’hui est celle de l’identité professionnelle, qui dépasse le métier.

L’émergence de l’identité professionnelle comme référence et comme repère

La montée des interrogations autour de la définition identitaire, qui caractérise notre société, donne à l’entreprise un rôle nouveau et structurant. Mais il ne s’agit pas d’assimiler ou de réduire l’identité à l’idée d’épanouissement ou de bonheur. L’OdC est convaincue que l’entreprise, l’administration doit être un lieu d’expérience, de construction individuelle, d’émancipation.

Un mélange de responsabilité formelle et d’impuissance pratique caractérise la situation de nombreux cadres : une crise de l’entreprise ?

La crise économique exacerbe un management par les résultats (financiers) et non par les objectifs (de travail), une valorisation du reporting aux dépens des capacités d’initiative, une réorganisation permanente qui génère stress, mal être, retrait. A la fois salariés managés, comme tous leurs collègues, et relais dans leur entreprise, leur administration, les cadres sont pénalisés quand ils osent alerter ou dénoncer les faiblesses. Désormais, ils se posent des questions sur leurs missions, sur le périmètre de leur responsabilité, de leur autonomie et sur la gestion des compétences.

Au total, c’est l’entreprise en tant que metteur en scène du travail et des responsabilités qui est questionnée. La grande entreprise moderne est devenue un monde de la défiance. Celle-ci est bien sur liée à la fragilisation constante des relations d’emploi, mais aussi au développement obsessionnel des techniques de contrôle de l’activité des agents. Or, cette crise de l’entreprise rend pour les cadres encore plus inacceptables des modes de management et de gestion standardisés, déshumanisés. Le fameux malaise des cadres dévoile une crise de l’entreprise. L’enjeu pour l’avenir est bien de repenser le management en termes de responsabilités, de valorisation des compétences, des métiers, et d’équipement collectif des individus.

L’OdC et l’impact du numérique sur le travail des cadres

Où commence et où s’arrête le travail, lorsque ledit travail est intellectuel ? Cette perte d’étanchéité, cette porosité entre travail et non travail a bien sur un impact sur la vie personnelle. Mais elle influence aussi la vie professionnelle, car il y a désormais des périodes de non travail sur le lieu professionnel. A la limite, le lieu de travail deviendrait avant tout un lieu de socialisation et de régulation des équipes de travail. Cela pose la question du travail (que rétribue l’entreprise et sous quelle forme ?) et plus profondément du contrat de travail qui lie les cadres à leur entreprise.

L’OdC et la réflexion sur la performance collective

Philippe Lorino, membre du Conseil scientifique, fait remarquer que la performance a deux bouts, le bout de l’activité et celui des objectifs. Pour qu’un dispositif de pilotage de la performance fasse sens pour les acteurs, il doit remplir deux conditions : être pertinent par rapport aux objectifs connus et compris de tous, et il être pertinent par rapport aux caractéristiques de l’activité au quotidien, en tenant compte de ce qu’est vraiment le travail. Certains dispositifs de pilotage de la performance ne renvoient à aucun objectif clairement défini ou bien renvoient tacitement à des objectifs autres que ceux qui sont affichés, ou bien encore renvoient à des objectifs contradictoires sans arbitrer les priorités. Et souvent les dispositifs de pilotage de la performance ne prennent pas en compte les caractéristiques réelles du travail sur le terrain, avec ses contraintes et ses potentialités : quoi de plus frustrant qu’une définition de la performance qui ne s’adapte pas au rôle effectivement joué par chacun dans l’entreprise, aux leviers d’action dont on dispose, aux contraintes subies ? La performance se joue aussi dans l’invisible, dans le « travail gris » qu’un tableau de performance aussi bien conçu soit il ne pourra jamais capturer et encore moins restituer.

Tous les témoignages récents dans les groupes de travail, séminaires, colloques soulignent l’investissement des cadres dirigeants pour offrir des outils de mesure de la performance de plus en plus sophistiqués. Des outils, des systèmes, qui peuvent donner l’illusion de la maitrise des situations les plus complexes, mais qui sont là souvent pour tenter de rassurer des cadres et des dirigeants eux-mêmes loin du travail, de l’activité, des métiers. Au bout du compte, les cadres de proximité sont dessaisis de leurs responsabilités. La hiérarchie professionnelle tend d’ailleurs à se contracter, signe d’un bouleversement profond de l’organisation du travail.

Les cadres, prototypes du travail de demain ?

Depuis 17 ans, l’Observatoire des cadres a finalement suivi les bouleversements des mécanismes de commandement et d’organisation des entreprises qui ont modifié la place, le contenu, et la valeur du travail.

Les mécanismes de commandement et d’organisation d’un capitalisme qui a orchestré une mutation radicale de l’entreprise depuis une quarantaine d’années et modifié substantiellement la place, le contenu et la valeur du travail. Etudier l’activité des cadres, c’est alors bien souvent se donner les moyens de mieux comprendre le travail de l’ensemble du salariat.

L’OdC et les « questions de société »

L’OdC traite aussi régulièrement ce que l’on pourrait qualifier de « questions de société » : la protection des données personnelles (21 mars 2006), la diversité dans l’entreprise : comment éviter l’exclusion ? «  5 mai 2006), l’insertion professionnelle des jeunes diplômés (2 février 2007).