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La VAE et les liens entre le savoir et l’action

par Anne-Lise Ulmann
Cnam, CRTD, EA 4132

La loi de modernisation sociale confère à chaque personne une reconnaissance officielle de son expérience acquise tout au long de sa vie personnelle ou professionnelle, dès lors que sa durée est d’au moins trois ans. La voie unique de la formation conduisant à l’obtention d’un diplôme, d’un titre ou d’une certification se trouve dédoublée par ce nouveau dispositif législatif puisque les expériences professionnelles et bénévoles sont reconnues comme de valeurs équivalentes aux apprentissages acquis en formation.

Ce dispositif de la loi de modernisation sociale n’est pourtant pas complètement nouveau puisque depuis 1985 la validation des acquis professionnels avait permis à plus de 100000 personnes de faire reconnaître leurs expériences pour intégrer un cursus de formation. Le mouvement impulsé par le dispositif de la VAE radicalise en quelque sorte la portée des expériences précédentes et contraint à penser plus largement les transformations. Cette radicalisation ne laisse pas indemnes les institutions qui ont pour mission la formation et l’apprentissage : écoles, universités et organismes de formation.

LA VAE : une démarche répondant à une demande sociale

Si les études sur la formation professionnelle continue montrent que pour nombre d’entreprises la formation « est tournée vers une adaptation à court terme des compétences [laissant] de côté les ambitions de la loi de 1971, notamment les aspects relatifs à la promotion sociale et à la possibilité pour chacun de compléter son parcours »[1], désormais la VAE offre des opportunités pour se dégager d’un court terme éprouvant et accompagner des parcours professionnels en cohérence avec les évolutions de la société.

L’obtention d’un diplôme ou d’une certification contribue tout d’abord à réinscrire la formation dans une nouvelle temporalité. La perspective d’un titre, plus attractive que la simple attestation de présence sans valeur sociale, redonne sens à l’investissement formation, et ouvre d’autres espaces de professionnalité à ceux qui n’auraient osé s’engager sur une voie plus longue de formation. La VAE incite donc à la mobilité[2] par les perspectives qu’elle trace aux sujets dans leur investissement formation, et de ce fait, peut contribuer à empêcher une certaine sclérose des compétences dont souffrent parfois les organisations.

En permettant l’accès à un diplôme la VAE révèle pourtant que la demande de reconnaissance est tout autant professionnelle que personnelle ou sociale. Une analyse[3] des demandes des candidats nous conduit en effet à identifier trois types de demandes qui ne sont pas forcément exclusives les unes des autres mais qui révèlent que les candidats à la VAE ne recherchent seulement le diplôme.

 

Un premier groupe de demandes cherche à effacer des échecs mal acceptés. Ces candidats à la VAE saisissent l’opportunité de valoriser leurs expériences professionnelles pour se revaloriser et surmonter les regrets de ne pas avoir poursuivis leurs études. La VAE fait fonction de la deuxième chance, un peu à l’image de ce qu’ont pu être dans autres temps, les premières lois sur la formation professionnelle continue.

 

Une autre catégorie de demandes restent très centrées sur l’obtention d’un titre ou d’une certification permettant de reconnaître (et souvent de se faire reconnaître au sein de l’entreprise) l’acquisition effective d’un niveau professionnel. Ces candidats ne cherchent pas à effacer d’éventuels échecs scolaires passés, (certains peuvent d’ailleurs être très diplômés), mais s’attachent plutôt à rendre officiel leur niveau par l’obtention du titre ou du diplôme.

Un troisième type de demande révèle au contraire des candidats déjà inscrits dans des démarches de (re)construction de parcours professionnel. La VAE leur sert souvent de tremplin ou d’accélérateur pour continuer à progresser. Le diplôme validé est une clef d’accès pour entamer une autre carrière professionnelle nécessitant parfois l’engagement dans un autre cursus de formation.

Un faisceau de raisons très intriquées les unes aux autres motive une démarche de VAE. Le processus d’élaboration du dossier transforme souvent les motivations initiales et au fur et à mesure que « l’expérience se fait savoir »[4], la démarche de la VAE révèle sa puissance formatrice. Ce faisant elle découvre le travail comme un puissant opérateur du développement des compétences.

La VAE : côté face

Le dispositif législatif exige des candidats qu’ils puissent apporter la preuve de ce qu’ils savent faire. La charge de la preuve leur incombant, ils révèlent à un jury, qui à cette occasion apprend également, les savoirs d’action qu’ils mobilisent dans diverses situations de travail.

Cette prise de distance avec l’action, qui suppose un accompagnement, permet de reconsidérer le travail passé et d’appréhender le travail futur. De ce point de vue, un candidat qui effectue pour des raisons qui lui sont personnelles une démarche de VAE, est aussi un salarié qui se met dans une démarche de réflexion qui peut faire ressource collectivement pour contribuer à l’analyse et à la transformation des situations de travail.

La démarche conduit donc à porter davantage d’attention au travail effectif, ce qui ouvre d’autres perspectives pour rendre le travail plus apprenant qu’il ne l’est souvent. La « descente en profondeur dans les arcanes du travail » (R. Lenoir) permet d’identifier non seulement les investissements subjectifs des personnes, mais découvre également que les situations professionnelles peuvent aussi être plus ou moins sources d’apprentissages (Mayen).

Avec Y. Clot l’on peut donc constater que le retour sur le travail passé développe « le pouvoir d’agir » sur le présent parce que ces remémorations adressées donnent sens à ce qui n’est pas directement perceptible dans le cours de l’action. Cette prise de distance est source d’apprentissages et de développement, bien qu’elle soit peu prise en compte dans les pratiques de formation.

La VAE : côté pile

Puisque le dispositif peut contribuer au développement des personnes et des organisations, il est étonnant de constater que quinze ans après sa mise en œuvre il n’ait pas davantage transformé les pratiques de formation. Ce dispositif met-il trop fortement en tension les savoirs enseignés avec les savoirs d’action ? Pourrait-il contribuer à dévaloriser les diplômes par la transformation des exigences scolaires et universitaires ? Est-ce la crainte de partager le pouvoir de la validation avec des professionnels qui rend le dispositif parfois très complexe à suivre ?

Si le dispositif, notamment à ses débuts, a suscité de nombreuses réticences, plutôt liées à sa nouveauté, les difficultés rencontrées aujourd’hui nous paraissent d’un autre ordre et s’avèrent plus délicates à lever tant elles remettent en question les institutions formatives.

Notre propos ne concerne que ici les difficultés rencontrées du côté des jurys. Notre pratique de jury VAE d’une part et d’autre part nos observations de ces jurys dans le cadre d’un travail mené avec l’université de Paris12, nous conduit à identifier deux types de difficultés:

  • les premières sont liées à la composition des jurys qui conduit à faire travailler ensemble des professionnels et des enseignants. Si dans son principe cette collaboration se comprend et se justifie parfaitement, dans la pratique des jurys auxquels nous avons participé et que nous avons observés, elle installe une sorte de face à face entre deux « clans » qui n’ont pas les mêmes habitudes de travail. Cela conduit souvent à une certaine soumission des professionnels aux discours des enseignants. Moins rôdés à ce travail que les enseignants, rares sont en effet les professionnels qui osent s’opposer à leurs points de vue. Le pouvoir du savoir enseigné reste maître, surtout quand il s’agit de certification.

 

  • Les deuxièmes types de difficultés tiennent à la connaissance du travail réel, tant des enseignants mais également des professionnels qui ont plutôt des fonctions d’encadrants. La difficulté pour un candidat à argumenter oralement sur ce que les situations de travail ont permis d’apprendre et comment l’expérience de ces situations a pu contribuer au développement ou à la création de nouveaux savoirs d’action, met souvent les membres des jurys en difficulté. Ce malaise souvent perceptible dans les échanges les conduit à retourner vers les savoirs enseignés qui sont ceux qu’ils maîtrisent le mieux. La « relation malheureuse des formateurs et de du travail » (Jobert) se repère aisément dans ces débats où les situations réelles de travail ne sont pas toujours bienvenues dans les échanges avec certains jurys.

 

Il apparaît dès lors que le dispositif de la VAE peut mettre en grande difficulté certains candidats quand les jurys les questionnent sur des savoirs que la pratique professionnelle ne mobilise pas. Cette difficulté tient-elle à des carences des candidats ou est-elle le symptôme des difficultés des jurys d’enseignants à penser les liens entre le savoir et l’action ? Un tel dispositif n’impliquerait-il pas de réfléchir au rapport des enseignants aux savoirs enseignés pour qu’ils s’intéressent davantage au travail effectif et aux savoirs d’action?

[1] Vincent Merle : « les enjeux du volet formation de la loi de modernisation sociale », in Actualité de la formation permanente, n° 177, mars – avril 2002.

[2] Nous employons le terme « mobilité » dans un sens large : il s’agit d’une mobilité intellectuelle autant que géographique

[3] Notre analyse s’appuie sur les candidats que nous avons reçus dans le cadre de nos fonctions de maître de conférences à l’université de Paris12 pour valider une licence professionnelle en gestion des ressources humaines. Notre typologie est fondée sur 45 entretiens que nous avons effectués entre 2003 et 2005 et sur l’analyse de 120 dossiers.

[4] Nous reprenons une partie du titre du livre d’Alex Lainé, VAE, quand l’expérience se fait savoir. L’accompagnement en validation des acquis. Editions érès, 2005